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Et si les migrant.e.s étaient des expatrié.e.s comme les autres ?

L’épisode 29 avec Cristina, franco-portugaise et serial expatriée, est sorti début mai. Tout premier commentaire Instagram sur la publication : « un peu déçue de l'utilisation du terme ‘expat’ à la place de ‘migrant’ ». S’en est suivie en story une discussion riche et fort animée mais toujours courtoise, qui nous amène tout droit, me semble-t-il, à ce constat : la sémantique, c’est politique !

C’est le bazar !

La ligne de partage habituelle, on la connaît : si on part travailler avec un contrat, on est un.e expatrié.e. Si on part sans un sou en poche et/ou sans papiers, on est un.e migrant.e ou un.e immigré.e. Deux mots différents pour deux réalités différentes, donc, très clair. Quoique…

Prenons l’exemple d’un.e médecin ghanéen.ne qui vient travailler à Londres, ou d’un.e diplômé.e camerounais « recruté.e » par un Québec en manque de francophones, de jeunes familles ou de travailleurs.ses qualifié.e.s dans certains secteurs. Considérons à présent un.e ingénieur.e britannique qui part travailler à Accra, ou un.e Canadien.ne recruté.e dans une banque camerounaise en tant que consultant.e. Est-ce que la société d’accueil met les mêmes étiquettes sur ces différentes situations ? Non. Les Africain.e.s de mon exemple ne seront peut-être pas désigné.e.s comme migrant.e.s car ils.elles sont arrivé.e.s avec des papiers, mais seront plus vraisemblablement qualifié.e.s d’immigré.e.s que d’expatrié.e.s.

C’est ainsi que Lusine, Arménienne qui raconte dans l’épisode 25 de Joyeux Bazar son expatriation en France, reprend le critère du travail pour choisir l’un ou l’autre des termes. Et c’est ainsi qu’en retour, un internaute évoque les Européen.ne.s qui s’installent au Maroc ou au Portugal pour la retraite. Ils.elles ne travaillent pas, mais ne se perçoivent probablement pas comme des immigré.e.s ou des migrant.e.s ! Sans compter que quand on traverse la Méditerranée au péril de sa vie, c’est aussi dans l’espoir de travailler…

Alors qu’étymologiquement, le terme « expatrié.e » signifie simplement que l’on vit dans un pays qui n’est pas le sien, on voit bien qu’il existe une subtile frontière entre ‘expatrié.e’ et ‘migrant.e’, dénoncée par plusieurs voix ces dernières années.

Quelles lignes de démarcation entre ces deux termes ?

Parmi les nombreuses contributions apportées par la communauté Instagram de Joyeux Bazar (merci à vous !), le critère des conditions de départ a été soulevé : est-ce qu’on est parti.e volontairement ou pour fuir quelque chose ? J’ai tendance à penser que les deux se confondent souvent. Quand on fuit la guerre, on fait aussi le choix de ne pas risquer sa vie sur place, d’aller dans une direction et pas une autre. Et quand on choisit de suivre un.e conjoint.e ou accepter un contrat de travail à l’étranger, on fuit les risques de la relation à distance, les conditions de travail actuelles.

En tout cas, la notion de « départ volontaire » nous rappelle que nous ne sommes pas tous.tes égaux.ales devant la liberté de se mouvoir… D’ailleurs, quelqu’un sur Instagram a estimé que « l’expatriation est un privilège, tandis que la migration est un chemin de croix ». Cette notion de privilège est intéressante, à la fois dans la couleur du passeport et dans les conditions de vie à l’arrivée (lié au réseau relationnel, aux diplômes, etc.). Valeria, une auditrice de Joyeux Bazar, relève ainsi qu’il y a une connotation classiste* dans l’usage de ces deux termes. Elle qui est arrivée d’Italie il y a 15 ans et dispose en France d’une « bonne situation » préfère se présenter comme migrante, pour éviter « une certaine gêne chez certaines personnes » et pour créer des « opportunités de discussion ». A ce titre, la journaliste britannique Vicky Mitchell dénonce les avantages injustifiés que procure aux Occidentaux l’étiquette d’expatrié.e, son sentiment d’imposture à cet égard et son choix de se définir comme migrante.

‘Expat’ quand on se déplace du Nord vers le Sud, migrant.e si on se meut dans le sens inverse à la recherche d’une vie meilleure. « Mais qui décide de ce qui est meilleur ? », s’interroge Dima, une auditrice de Joyeux Bazar. Ainsi, la notion de privilège est aussi liée au regard de l’autre : quelles que soient la classe sociale et l’authenticité du permis de séjour, quel que soit l’horizon du séjour (temporaire ou définitif), comment est-on perçu.e dans le pays de destination ? A ce stade, force est de constater qu’on touche à des questions de couleur (si, si) et de représentations, médiatiques.

Pour information, l’Organisation internationale des Nations-Unies pour les migrations estime que le terme ‘migrant.e’ désigne « toute personne qui quitte son lieu de résidence habituelle pour s’établir à titre temporaire ou permanent et pour diverses raisons, soit dans une autre région à l’intérieur d’un même pays, soit dans un autre pays, franchissant ainsi une frontière internationale ». Voilà qui devrait mettre tout le monde d’accord ?

La force de la narration dominante

Quelques semaines avant la sortie de l’épisode avec Cristina, j’avais été invitée dans le podcast FrenchExpat. J’étais très surprise de cette invitation parce que je n’avais jamais envisagé ce terme, ‘expatrié.e’, pour qualifier mes allers-retours entre la France et le Cameroun, qui sont mes deux pays. Mais manifestement, les créatrices du podcast FrenchExpat ont perçu quelque chose de cet ordre en écoutant le premier épisode de Joyeux Bazar, celui où j’explique mon propre chaos identitaire. Je vous conseille aussi d'écouter Stéphane, russe et congolais par ses parents, quand il évoque ses années d’expatriation en Afrique, en terrain connu mais pas tant que ça : « je n’étais pas assez légitime pour jouer la carte « je suis votre frère », alors je suis arrivé en tant que Français, en tant que Blanc ». A ce sujet, une internaute m’a fait remarquer dans les nombreux podcasts sur l’expatriation qu’elle écoute, aucun ne fait intervenir d’invité.e.s non-blanc.he.s

« C'est la narration dominante qui façonne les usages »

Valeria, auditrice de Joyeux Bazar

En attendant, Valeria conclut que « c’est la narration dominante qui façonne les usages ». En effet, une personne m’a fait remarquer pendant ces deux jours de débat intense que « il n’existe pas d’expats illégaux ni d’expats de seconde génération » (cette punchline !). Une autre m’a confié utiliser systématiquement ‘expatrié.e’, « pour tirer tout le monde vers le haut ». J’avoue qu'il m'arrive encore d’utiliser ces deux mots de manière assez traditionnelle (et donc empreinte de biais racistes et classistes). J'ai néanmoins une meilleure conscience politique et systémique de ces lignes de démarcation, et j'accepte le fait que d’autres personnes puissent tracer différemment ces lignes, et même choisir de les effacer.

Pour finir, Cristina a répondu elle-même au commentaire Instagram, en citant Michel H. A. Patin : « la pauvreté pousse à l'émigration, la richesse invite à l'expatriation mais, une fois arrivés, nous sommes tous des immigrés »… A méditer.

Un immense merci à toutes les personnes sur Instagram qui ont créé et enrichi le débat, permettant ainsi à l’ensemble de la communauté de réfléchir sur cette question. Vous êtes le sens même du projet Joyeux Bazar !

*liée à la classe sociale de la personne

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